Mercredi 11 mai, à Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, Israël a franchi un pas supplémentaire dans la violation permanente du droit et dans les crimes de guerre : Shireen Abu Aqleh, journaliste américano-palestinienne de 51 ans, a été assassinée par l’armée israélienne d’une balle en pleine tête.
Ce matin-là, tôt, un nombre important de soldats de l’armée d’occupation avaient pris d’assaut la ville de Jénine et bouclé une maison pour arrêter un jeune Palestinien. Des confrontations avec des dizaines de jeunes palestiniens s’en sont suivies.
Shireen Abu Aqleh portait un gilet pare-balle et une casque, barrés du mot « PRESS ». Elle a été touchée par une balle réelle à la tête, tirée à une distance d’environ 150 mètres. Elle est décédée. Un autre journaliste, Ali Samoudi, a également été touché d’une balle dans le dos. Il a précisé que « les forces d’occupation ont ciblé directement les journalistes », à peine étaient-ils sortis de leur voiture. Des témoins ont déclaré que les soldats ont tiré à balles réelles en direction de jeunes Palestiniens et des équipes de presse. Une première enquête, réalisée par l’organisation israélienne des Droits de l’homme, B’Tselem, a conclu que le tir avait été réalisé à ± 150 mètres de l’endroit où se trouvaient les journalistes Al-Jazeera et ne pouvait matériellement provenir de jeunes Palestiniens résistant aux soldats – thèse évidemment retenue d’abord par Israël.
Le 25 avril 2018, le journaliste palestinien Ahmed Abu Hussein succombait à ses blessures dans la bande de Gaza. Un soldat israélien l’avait visé par balle. Un autre journaliste, Yasser Mortaja, était mort sur le coup de la même manière. Ces deux journalistes couvraient la “marche du retour.”
La mort tragique de la journaliste, qui ressemble à une exécution de sang-froid, s’est passée à quelques dizaines de mètres du nouveau centre de l’association Not to Forget, avec laquelle le CPJPO développe depuis 2010 un projet de soutien psycho-social aux enfants traumatisés par l’occupation israélienne, cofinancé avec le Ministère des Affaires étrangères du Luxembourg. Mostahm Salameh, qui en est la coordinatrice, connaissait bien Shireen. Appelée mercredi après-midi par téléphone, elle n’a pu cacher son émotion et ses larmes, son incompréhension et sa colère. Le CPJPO partage sa douleur qui est celle de la famille de Shireen, de ses collègues Al-Jazeera, des habitants du camp et de la ville de Jenine, comme de tout le peuple palestinien qui revendique ses droits et sa liberté .
Il convient de resituer ce nouvel épisode de l’occupation israélienne de la Palestine dans son contexte. Les journalistes palestiniens et parfois internationaux sont soumis quotidiennement à des restrictions de déplacements et à des interdictions d’accès, à des confiscations ou destructions de leur matériel, à des arrestations. Selon un décompte de Reporters Sans Frontières, en quatre ans, au moins 144 journalistes palestiniens ont été victimes de violations de la part des forces de l’ordre israéliennes dans la bande de Gaza, à Jérusalem-Est et en Cisjordanie : tirs de gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, coups de matraques, grenades assourdissantes, tirs à balles réelles… Depuis le début de la 2e intifada, en 2000, 51 journalistes palestiniens ont subi le même sort que Shireen.
Rappelons aussi que, en mai dernier, presque jour pour jour un an avant l’assassinat de Shireen, à Gaza un immeuble d’une dizaine d’étages abritant les locaux de la chaîne Al-Jazeera et l’agence Associated Press avait été ciblé et complètement rasé par l’armée israélienne.
En fait, Israël tente de bâillonner ceux qui documentent les crimes de guerre, comme il l’a fait en désignant comme terroristes les ONG de défenses des droits humains palestiniennes. Israël assassine les journalistes comme tous ceux qui résistent : 11 jeunes du village de Beita, village qui refuse la colonisation de ses terres, ont ainsi été assassinés par l’armée israélienne en une année.
Le premier ministre israélien a donné à ses soldats un permis de tuer. Ils en usent et en abusent y compris contre les journalistes. Les crimes de guerre israéliens sont connus, documentés. Ils durent depuis des décennies. Ils n’entrainent cependant aucune sanction de la part de la communauté internationale. L’Union européenne se déclare choquée par le meurtre de Shireen Abu Aqleh et réclame une enquête internationale indépendante. Mais prendra-t-elle enfin des sanctions contre Israël ?
Le CPJPO exhorte le Luxembourg et l’Union européenne à mettre fin à l’impunité dont bénéficie Israël depuis toujours en prenant des sanctions immédiates. Les crimes de guerres doivent être sanctionnés de la même manière et par qui qu’ils soient perpétrés : en Palestine occupée, en Iraq, en Syrie, en Lybie tout autant qu’en Ukraine. Jusqu’à quand les États occidentaux donneront-ils à Israël un statut spécial lui garantissant l’impunité ?
Le Conseil d’administration du CPJPO
Le 15 mai 2022